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La vocation de Leïla Slimani

L’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani est de passage dans la Belle Province cette semaine à l’occasion du festival Québec en toutes lettres. Nous en avons profité pour replonger dans son œuvre en cinq questions.


Publié hier à 8 h 00

En 2016, vous avez remporté le prix Goncourt pour votre deuxième roman, Chanson douce. Avec le recul, quelle place occupe ce titre aujourd’hui dans votre œuvre ?

C’est vraiment le livre qui m’a fait connaître. C’est un livre qui a eu, en plus, un destin international. Il a été traduit en 45 langues. Il a très bien marché dans d’autres pays que la France et il m’a fait percevoir aussi – alors que je ne m’en rendais pas compte – l’universalité du sujet que j’avais choisi de traiter, qui était celui de la maternité, de la place de la femme dans la famille. Donc oui, c’est un livre qui est vraiment très important dans mon parcours et sans lequel je n’aurais pas pu, peut-être, ensuite faire tout ce que j’ai fait.

L’année suivante, vous avez publié l’essai Sexe et mensonges : histoires vraies de la vie sexuelle des femmes au Maroc, fruit d’une grande enquête sur le terrain…

En faisant la tournée de Dans le jardin de l’ogre au Maroc – un livre dans lequel une femme vit une forme d’addiction sexuelle –, j’ai rencontré beaucoup de lectrices qui ont commencé à se confier à moi. C’était mon premier livre, donc je n’avais pas tout à fait conscience à l’époque de ce rapport très intime qui peut se nouer entre un écrivain et ses lecteurs, à quel point les gens peuvent se confier sur des choses que, parfois, ils ne racontent à personne d’autre.

J’avais déjà conscience en tant que journaliste de cette problématique de la sexualité, ce qu’on peut appeler la misère sexuelle dans les pays du Maghreb. Mais là, j’ai pu, grâce à ces lectrices très généreuses qui m’ont raconté leur vie, vraiment percevoir individuellement et de manière singulière les conséquences que ça avait sur l’existence des gens à une époque où le Maroc, en plus, était secoué par plusieurs scandales comme celui de Much Loved [le film de Nabil Ayouch de 2015 qui avait été interdit au Maroc]. Et donc, il y avait effectivement aussi l’envie de dénoncer une forme d’hypocrisie et de mensonge institutionnalisé.

Est-ce que l’écriture était un rêve de jeunesse ?

J’ai du mal à qualifier l’écriture de rêve. C’est un désir de jeunesse, une vocation d’enfance, une sorte d’appel, une dévotion. Quand j’étais enfant, j’avais envie déjà d’être écrivain, mais ce n’est pas la même chose que de rêver d’être actrice ou chanteuse. Je percevais quand même l’ampleur du travail et peut-être même de la souffrance que ça allait représenter, donc je ne le vivais pas comme un rêve.

Y a-t-il un roman qui vous est particulièrement cher, ou qui a été plus difficile à écrire ?

Mes œuvres sont toutes pour moi un petit morceau d’un puzzle que, j’espère, je n’ai pas encore terminé. Ce qui m’intéresse, c’est le tout, c’est l’œuvre ; que quelque chose d’un peu cohérent existe à la fin, qui à la fois parle de moi et des autres. Peut-être que Le pays des autres occupe une place un peu différente parce que c’est quelque chose que je savais que j’allais écrire à un moment ou à un autre. Ça vient moins d’une espèce d’obsession que de quelque chose de très profondément ancré en moi, le désir d’essayer de m’expliquer à moi-même une question d’identité, puis l’histoire de ma famille.

Le dernier, J’emporterai le feu, était le plus difficile à écrire, c’est sûr. Peut-être parce que j’étais dans une époque d’épuisement physique très intense. Et puis parce que je comprenais que la trilogie allait se terminer et que ce livre était la dernière occasion de dire tout ce que j’avais à dire. Je voulais offrir une sorte de finale qui soit à la hauteur de mes ambitions. Sans doute aussi parce que c’est celui qui est le plus proche de ma génération, de mon histoire, et que ça m’a demandé un travail d’introspection, de mémoire, de faire revivre des épisodes de mon existence qui étaient douloureux.

Vous avez achevé la trilogie Le pays des autres l’hiver dernier avec J’emporterai le feu. Avez-vous entamé l’écriture d’un nouveau livre depuis ?

Je n’ai pas encore amorcé de nouveau roman. Je suis dans ce genre de moment où je suis à la recherche de quelque chose, un moment de doute, où je me pose cette question : qu’est-ce qui va, d’un coup, faire que je vais avoir envie d’écrire le prochain ? J’ai des idées, mais j’attends qu’il y en ait une qui se mette à m’obséder, à être tellement importante que je ne peux faire autrement que d’écrire ce roman.

Leïla Slimani sera à la Maison de la littérature de Québec ce samedi, à 17 h 30, dans le cadre du festival Québec en toutes lettres.


Consultez la programmation complète du festival

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