«De combats et d’amour»: Lisette Lapointe dans les cercles du pouvoir

Le soir du 30 octobre 1995, Lisette Lapointe quitte la scène fleurdelisée du Palais des congrès de Montréal aux bras de son mari, Jacques Parizeau. La défaite serrée du Oui au référendum sur l’indépendance est amère, à l’image du discours livré par le premier ministre du Québec.
« J’ai tout fait pour le convaincre de ne pas démissionner, du moins pas tout de suite », relate Lisette Lapointe en entrevue pour la parution de ses mémoires, De combats et d’amour. « Je lui ai dit qu’il faudrait prendre le temps de vérifier les irrégularités du vote, mais c’était peine perdue… »
La chute est brutale pour Jacques Parizeau. « Ça a pris une année complète avant que je l’entende chantonner dans la douche ou que je le voie sourire facilement », confie Lisette Lapointe. Une petite vigne achetée à Collioure, dans le sud de la France, à l’été 1995 fait office de bouée de sauvetage. « Avant de savoir le résultat [du référendum], je me disais que si jamais on perd, ça va sauver Jacques de partir, de ne pas lire les journaux. »
Le retour à la banalité du quotidien affecte également Lisette Lapointe. « Ce n’était pas facile, après ces 500 jours intenses et extraordinaires. Surtout que je savais que mon mari souffrait du poids de l’indignation. Pour lui, les Québécois avaient été floués, trahis. Il se disait : “C’est moi qui les ai entraînés dans cette défaite.” »
Élysette
Lisette Lapointe a attendu ses 82 ans avant de publier ses mémoires. « J’écris depuis la jeune vingtaine et j’avais des coffres de notes », explique l’enseignante de formation. Son ouvrage offre un point de vue unique sur le gouvernement Parizeau (1994-1996), dont elle faisait partie à titre de conseillère spéciale du premier ministre. Un bureau lui était d’ailleurs attribué dans l’austère bunker de la Grande Allée, à Québec.
La présence de Lisette Lapointe dans le premier cercle du pouvoir en dérangeait certains, dont Jean-François Lisée, le rédacteur des discours du premier ministre. « Jacques Parizeau avait un esprit assez indépendant, prévient-elle. On avait beau être le dernier à lui parler, ça ne voulait pas dire qu’il nous écoutait ! »
Chaque jeudi, Lisette Lapointe anime des six à huit courus à l’Élysette, la résidence officielle du premier ministre, à Québec, dont le nom est une contraction de son prénom, Lisette, et du palais de l’Élysée du président français. Pendant près d’un an, le couple y reçoit des centaines de citoyens issus des milieux culturel, communautaire et des affaires. « Ça permettait à Jacques Parizeau d’avoir un feedback sans filtre », dit-elle.
Les occupants du 1080 de l’avenue des Braves sont scrutés à la loupe, comme l’illustre la fuite de Chatou, le félin de l’Élysette, en mars 1995. « J’étais dans la ruelle en peignoir avec les gardes du corps derrière moi, relate Lisette Lapointe en riant. J’appelais Chatou et il y avait du monde partout sur les balcons des voisins. » La nouvelle fera les manchettes.
Féminisme
Par-delà la politique, les mémoires de Lisette Lapointe permettent de mesurer le chemin parcouru par les Québécoises sur plus d’un demi-siècle. « En 1963, j’ai 20 ans, je suis professeure, j’aimerais avoir un enfant, mais il n’y a pas de congé de maternité ! Si tu deviens enceinte et que tu dois t’absenter pour des questions de santé, tu perds ton emploi ! »
En dépit des espoirs suscités par la Révolution tranquille, les femmes divorcées sont encore mises au ban de la société. Lisette Lapointe le constate en 1967 à la suite de sa séparation, son nouvel état civil pouvant lui faire perdre son travail dans une école catholique dirigée par des religieuses.
Après un intermède comme représentante Tupperware, cette marque de plats de plastique révolutionnaires qui faisaient l’objet de « démonstrations » dans les bungalows, Lisette Lapointe entre au journal indépendantiste Le Jour à titre de maquettiste, en 1974. Elle y fait la connaissance de Jacques Parizeau, la caution économique du Parti québécois (PQ).
Lisette Lapointe sera l’attachée de presse du ministre Pierre Marois dans le premier gouvernement Lévesque, de 1976 à 1980. La passionnée d’automobiles cofonde ensuite Auto prévention, une association de santé et de sécurité du travail. Ce n’est qu’en 1992 qu’elle renoue avec Jacques Parizeau, qui lui cuisine tant bien que mal un gigot d’agneau pour la séduire, avec l’aide des conseils culinaires de la femme de son garde du corps.
Opposition
L’élection d’André Boisclair à la tête du PQ, en 2005, incite Lisette Lapointe à revenir en politique active. « Il s’engageait à tenir un référendum dans le premier mandat, c’est ça qui m’a fait me décider », rappelle l’indépendantiste de la première heure, qui a assisté au discours du général de Gaulle à Montréal, en 1967.
Élue en 2007, Lisette Lapointe se retrouve sur les banquettes de la deuxième opposition au Salon bleu. L’aventure n’est pas à la hauteur des attentes pour la députée, qui démissionne avec fracas en 2011 pour dénoncer le climat régnant au sein du PQ, alors dirigé par Pauline Marois. « Je trouvais qu’on devenait électoraliste », dit-elle.
Le projet de loi péquiste visant à empêcher la contestation du futur amphithéâtre de Québec est la goutte qui a fait déborder le vase. « Je n’ai pas démissionné parce que je ne voulais pas que les Nordiques reviennent. J’étais fan des Nordiques… Le problème avec l’amphithéâtre, c’est la façon dont on a voulu l’imposer. »
Lisette Lapointe touche également à la politique municipale comme mairesse de Saint-Adolphe-d’Howard, de 2013 à 2017. Elle y mène une lutte désespérée contre Hydro-Québec pour empêcher la construction d’une ligne à haute tension dans les montagnes. « C’est le pire combat que j’ai vécu de ma vie. Ils ne s’attendaient pas à ça, de la part d’un petit village, et je ne pense pas qu’ils vont refaire ça ailleurs », dit-elle avec fierté.
La retraitée garde un œil attentif sur l’actualité politique dans l’attente d’un troisième référendum sur l’indépendance. « On est passés si proche la dernière fois… On le mérite, notre pays, on est capables. »




