Hydro-Québec | La bombe à retardement des tarifs d’électricité

Question économique pour vous. Entre ces deux options, laquelle est préférable pour un gouvernement en manque de revenus : augmenter les impôts ou hausser les tarifs d’électricité ?
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5 h 00
Pour moi, le choix est clair. Le gouvernement ne devrait pas augmenter les impôts et pénaliser le travail. En revanche, hausser les tarifs d’électricité pour freiner la surconsommation est essentiel en cette période de transition énergétique.
La réponse peut paraître évidente, et pourtant, le gouvernement caquiste fait essentiellement l’inverse, en ce moment : il plafonne la hausse des tarifs d’électricité résidentiels d’Hydro-Québec, ce qui l’oblige à combler un manque de fonds ailleurs.
En 2025, le plafond de 3 % de ces tarifs – cher à François Legault – a privé le gouvernement de recettes de 60 millions de dollars venant d’Hydro-Québec. Cette somme s’ajoute aux autres postes budgétaires pour constituer le déficit de l’année1.
Ce manque à gagner de 60 millions grossira année après année, selon les paramètres tarifaires, si bien que le gouvernement devra compenser en réduisant davantage ses dépenses ou en augmentant les impôts des travailleurs (d’où ma question de départ), par exemple.
« C’est une bombe à retardement, car l’impact de ce plafond tarifaire pour le secteur résidentiel augmentera avec les années dans un contexte de lutte contre le déficit », me dit Alain Dubuc, auteur d’une récente étude sur le sujet pour le compte de l’Institut du Québec2.
Intitulée Un éléphant dans le compteur, l’étude montre « pourquoi une hausse des tarifs d’électricité sera inévitable et… souhaitable », dans le contexte de la décarbonation et de la lutte contre le déficit.
Certains diront que 3 % représentent une hausse raisonnable, puisqu’elle est supérieure à l’inflation. Eh bien non, puisque les récents investissements d’Hydro-Québec pour combler la demande d’électricité se traduisent par une hausse de tarifs bien supérieure à 3 %.
Une telle hausse de tarifs n’est pas causée par la mauvaise gestion des dépenses d’Hydro, mais par les coûts plus grands des derniers kilowattheures d’énergie produite, transport inclus.
Pour l’année 2025, la Régie de l’énergie a calculé que les tarifs résidentiels auraient dû augmenter de 3,6 % pour refléter ces coûts. Or, comme Québec a imposé un plafond de 3 %, il y a un manque à gagner de 60 millions pour Hydro-Québec. Et le phénomène s’accélérera au cours des prochaines années.
La loi prévoit que devant un tel manque à gagner, Hydro peut soit réduire son dividende au gouvernement, soit laisser le gouvernement compenser le manque à gagner à même ses propres fonds, ce qui revient au même.
Pourquoi ne pas récupérer la somme auprès des entreprises ? Parce que d’une part, ce serait contraire à la décision de la Régie. Et que d’autre part, les bas tarifs du secteur résidentiel sont déjà financés par les entreprises, rappelle l’étude, ce qu’on appelle l’interfinancement.
Cette année, les clients résidentiels ne paient que 81,7 % des coûts réels de l’électricité qu’ils achètent. La différence est payée par les entreprises.
De leur côté, les PME et les commerces paient 130 % des coûts de l’électricité qu’ils achètent et les grands industriels, 114 %.
Cette sous-tarification résidentielle, qui permet de couvrir seulement 81,7 % des coûts réels, était moins importante en 2019 (88 %), mais le sera plus dans les prochaines années, au rythme où vont les choses.
Bref, non seulement les Québécois ont des tarifs résidentiels parmi les plus bas au monde, mais ces tarifs sont en partie payés par les autres clients. Est-ce vraiment une bonne idée ?
« Est-il économiquement judicieux et socialement légitime de subventionner davantage la consommation d’électricité de clients résidentiels déjà avantagés par des tarifs comptant parmi les plus bas en Amérique du Nord ? », se demande Alain Dubuc.
Cette sous-tarification du résidentiel, qui incite à surconsommer l’électricité, est d’autant plus dérangeante que le Québec a besoin de beaucoup d’énergie verte pour décarboner son économie et réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Pour y parvenir, Hydro-Québec construira de nouvelles installations, mais elle veut aussi combler une part appréciable de ses besoins par des politiques d’économie d’énergie. L’objectif d’Hydro-Québec est d’économiser 21 térawattheures (TWh) à l’horizon 2035.
Or, de telles économies ne seront possibles que si les clients doivent faire face aux réels prix de l’énergie, ce qui les inciterait à ne pas gaspiller. Alain Dubuc propose donc d’abord de mettre fin au plafonnement des tarifs résidentiels et évoque l’idée de faire une croix sur l’interfinancement.
Selon l’étude, la fin de l’interfinancement aurait fait augmenter les tarifs résidentiels moyens de 9,25 cents à 11,19 cents le kilowattheure en 2024, soit un bond de 21 %.
L’impact de ce bond tarifaire n’occasionnerait que de petites économies d’énergie à court terme, de l’ordre de 1,1 TWh, car les résidants et les constructeurs n’auraient pas le temps de s’adapter (isolation, etc.).
« La hausse des tarifs, à elle seule, ne peut pas être considérée comme une façon d’obtenir rapidement des gains d’efficience significatifs », selon l’étude.
À long terme, cependant, il est envisageable de penser que les économies grimperaient à 6,9 TWh, selon l’étude, soit le tiers des 21 TWH du plan d’Hydro pour tous les secteurs. Quand même !
Alain Dubuc invite la population à débattre largement de cette question, même s’il est conscient que le débat sera émotif, puisque « les tarifs d’Hydro-Québec sont perçus comme un élément identitaire au Québec », dit-il.
Alors, on fait encore des coupes en santé, on dope les impôts ou on taxe la surconsommation d’électricité ?
1. Le déficit de l’année courante est de 9,9 milliards de dollars avant versements au Fonds des générations et de 12,4 milliards après versements au Fonds des générations.
2. Consultez l’étude de l’Institut du Québec



