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La dernière communauté sans courant maintenant reliée à Hydro-Québec

Le ronronnement de plusieurs génératrices au diesel s’est tu. Le crépitement des feux de bois s’est assagi. La fumée s’est estompée. La communauté anicinape de Kitcisakik, située à moins de 100 kilomètres au sud de Val-d’Or, est (enfin) presque entièrement connectée au réseau d’Hydro-Québec.

« Ça fait deux soirs que je dors avec l’électricité. […] Après tant d’années de sommeil, c’est mon cœur que j’entends [et non] plus ma génératrice », a lancé, les larmes aux yeux, l’aînée du conseil de Kitcisakik, Catherine Anichinapéo, lors d’une cérémonie marquant la fin du projet Animiki Ickote — une contraction des mots « foudre » et « feu » en langue anicinape —, lequel était attendu depuis 50 ans.

Au cours de la dernière année, environ 2000 poteaux d’Hydro-Québec ont poussé tous les 40 mètres, puis des câbles se sont élancés à travers les épinettes sur une distance de 70 kilomètres, entre le poste de Louvicourt au sud de Val-d’Or et 140 bâtiments résidentiels et institutionnels dans le village du parc de La Vérendrye.

Une « nouvelle ère » s’ouvre à Kitcisakik, et le chef, Edouard Brazeau, s’en réjouit, prédisant l’amélioration des conditions de vie d’un « peuple [longtemps resté] sans électricité ». « La modernité est finalement aux portes et ouvre de nouvelles opportunités », a-t-il fait valoir devant un père Noël gonflé et illuminé grâce à l’hydroélectricité. « De l’énergie renouvelable ! » a précisé un responsable d’Hydro-Québec dans un échange avec Le Devoir.

« Quand la génératrice se fermait, les jeunes tombaient dans la noirceur. Ils devaient courir dehors pour mettre le gaz », quand ils ne devaient pas « fendre le bois et rentrer les bûches » pour chauffer le poêle, a rappelé la vice-cheffe, Adrienne Anichinapéo, aux personnes rassemblées dans le gymnase de l’école Mikizicec.

La p.-d.g. d’Hydro-Québec, Claudine Bouchard, ainsi que les ministres québécois Ian Lafrenière et fédérale Mandy Gull-Masty ont par la suite accompagné le chef et un enfant, qui ont « “plogué” à l’Hydro » un sapin de Noël sous les applaudissements de dizaines de personnes de la communauté.

« On change la vie des gens »

« C’est un moment historique, de brancher la dernière communauté au Québec qui n’avait pas encore d’électricité », a déclaré Claudine Bouchard en marge des festivités sur les berges du réservoir Dozois.

En mai 2022, le gouvernement du Québec avait fait la promesse de raccorder le village au réseau d’Hydro-Québec. La p.-d.g. de la société d’État de l’époque, Sophie Brochu, y voyait « un projet humaniste, un projet de société », et non « un projet d’énergie ou d’électrification ».

« C’est un projet de société. On change la vie des gens », a répété Claudine Bouchard devant un camion arborant le logo d’Hydro-Québec.

La facture du projet Animiki Ickote d’aménagement d’une ligne de transport de 25 kilovolts (kV) — mais qui est en mesure d’accueillir 34 kV — et d’un réseau local de distribution a grimpé à près de 32 millions de dollars.

Au total, 35 millions ont été investis par le gouvernement québécois pour concrétiser le projet dans cette communauté, qui vivait « un peu comme dans un camping, mais à longueur d’année, à vie », car elle n’avait à la fois ni électricité ni eau courante, a indiqué le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière.

Les gens apprivoisent leur nouvel appareil de chauffage. Certains testent même ses limites, allant jusqu’à programmer le thermostat de leur maison à 30 degrés Celsius.

Quelques membres de la communauté attendent toujours de voir leur maison branchée au réseau d’Hydro-Québec, dont Billie-Anne.

« Mon fils a froid »

Les cordes de bois continuent de défiler dans le poêle chauffé à blanc de sa maison pour réchauffer les nuits de ses trois enfants. « Mon fils a froid. Dans sa chambre, il y a un courant d’air. Ma fille aussi », mentionne-t-elle dans le cadre de porte, tout en jetant un coup d’œil à son bébé emmitouflé dans le salon. « J’ai bien hâte que le monsieur arrive et règle ça, et de peser sur le petit bouton », ajoute-t-elle en mimant quelqu’un qui active un interrupteur électrique. À l’extérieur, des bûches de bois et des génératrices s’empilent dans la neige. Le panache d’un orignal trône sur une minifourgonnette. « Au premier coup de feu, il est tombé, direct », dit Billie-Anne, pas peu fière d’avoir abattu son premier orignal.

Kitcisakik a un CPE, des classes de la maternelle, du primaire et de 1re secondaire accueillant des dizaines d’élèves, qui, jadis, devaient aller en pension à Val-d’Or pour poursuivre leur scolarité loin de leur culture et de leur langue. Maintenant, la communauté a l’électricité, mais elle est toujours sans eau courante. Des toilettes, des douches et une buanderie se trouvent dans un bloc sanitaire au centre du village.

« On voit des gens, ici, partir avec leurs traîneaux et leurs bidons d’eau pour aller s’approvisionner. C’est ça, le quotidien de notre communauté », a raconté la vice-cheffe Adrienne Anichinapéo.

« L’eau courante, c’est sûr que c’est une chose qu’on veut avoir », a dit le chef Edouard Brazeau.

« Et une maison des aînés », a ajouté kukum (« grand-mère » en français) Diana, croisée par Le Devoir dans l’atelier d’artisanat Migona à quelques enjambées de l’école Mikizicec. En attendant, elle « dormira bien », au chaud, spécifie-t-elle, tout en confectionnant de petits mocassins.

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