Des membres d’un groupe religieux controversé de Lac-Etchemin se lancent dans la campagne électorale municipale

Des membres d’une organisation religieuse controversée et fortunée tentent de se faire élire aux postes de mairesse et de conseillers d’une petite localité de Chaudière-Appalaches où elle possède plusieurs propriétés, ce qui laisse perplexes des experts consultés par Le Journal.
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«On a déjà vu des tentatives de prise de pouvoir au municipal par des groupes sectaires aux États-Unis. Moi, ça m’inquiéterait si j’étais résident de Lac-Etchemin», prévient Martin Geoffroy, expert en radicalisation et en intégrisme religieux.
Le 2 novembre, les citoyens de Lac-Etchemin vont élire le prochain conseil municipal. Cette année, une nouvelle équipe, Le Renouveau, fait son entrée dans la course.
Selon les informations obtenues par Le Journal, quatre de ses membres, dont la candidate à la mairie Johanne Plourde Têtu, sont associés à L’Armée de Marie, aussi appelée La Communauté de la Dame de tous les peuples.
Ce mouvement religieux a été banni et ses membres excommuniés par le Vatican en 2007.
Contactée cette semaine, l’Armée de Marie a insisté sur son absence de lien avec ces candidatures. La cheffe du Renouveau, Mme Plourde Têtu, soutient également qu’il s’agit de démarches individuelles.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l’émission de Mario Dumont, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Soupçon de conflits d’intérêts
«L’Armée de Marie est un grand propriétaire terrien à Lac-Etchemin. Donc tout de suite, il y a un conflit d’intérêts si des membres de l’Armée de Marie se présentent», prévient M. Geoffroy qui a étudié le groupe dans le cadre de ses recherches doctorales.
Il se rappelle d’ailleurs de controverses antérieures, quand l’organisation religieuse voulait acquérir plus de terrains.
Les terrains où sont aménagés les locaux du groupe religieux l’Armée de Marie sont immenses, à Lac-Etchemin, avec plus de 170 000 mètres carrés de superficie.
COURTOISIE SITE WEB SPIRI-MARIA
Le directeur du Centre de recherche et d’innovation religieuse à l’Université Laval, Alain Bouchard, se questionne aussi sur les intentions derrière cette démarche.
«Il y a peut-être des tensions entre la communauté et la municipalité sur l’achat de terrains et le type de construction. Ils tentent peut-être de faire changer certaines règles», s’interroge-t-il.
L’ancien maire qui se représente, Harold Gagnon, se montre prudent.
«On attend de voir ce qu’ils [Le Renouveau] vont proposer puisqu’on n’a aucune indication pour l’instant. Mais on a un gros doute. Antérieurement il y a eu des conflits entre Mme Plourde Têtu et la municipalité au niveau d’enjeux immobiliers», rapporte-t-il.
Risque d’influence religieuse
M. Geoffroy ne cache pas son agacement face à ces candidatures.
«C’est un groupe sectaire apocalyptique et très fermé sur eux-mêmes. Ce ne sont pas des gens qui respectent la laïcité. Ça pourrait ressembler à un régime municipal comme celui du maire [Jean] Tremblay au Saguenay où les lois de Dieu doivent être au-dessus des lois des hommes.»
Martin Geoffroy, directeur du CEFIR et chercheur principal
Photo Chantal Poirier
De son côté, Info-secte a mentionné être bien au courant de l’existence de ce groupe religieux et avoir déjà reçu plusieurs appels téléphoniques à leur sujet dans le passé.
«On doit se poser des questions à savoir si leurs croyances vont avoir une implication dans la politique s’ils sont élus, mais ça dépend du niveau d’implication de ces gens-là dans l’Armée de Marie», explique le directeur général de l’organisme, Michael Kropveld.
De son côté, Élections Québec affirme ne pas pouvoir «commenter l’offre politique» puisque leur instance doit être neutre et impartiale.
«Il revient aux électeurs de choisir les élus qui les représentent», souligne-t-on.
– Avec Nicolas Brasseur, Bureau d’enquête
Qu’est-ce que l’Armée de Marie?
Depuis sa création il y a cinq décennies, l’Armée de Marie a un objectif clair: se préparer à la fin du monde. Bien qu’il soit implanté dans une petite municipalité de 4000 âmes, le groupe a su rallier des dizaines de milliers de fidèles à travers le monde. Sa popularité a permis à l’organisation d’acquérir une multitude de propriétés, dont la valeur dépasse les 20 millions $, en plus de solliciter des sommes faramineuses en dons.
- Fondé à l’été 1971 par Marie-Paule Giguère lors d’un pèlerinage à Lac-Etchemin, dans Chaudière-Appalaches. Rapidement, le mouvement obtient l’approbation de l’archevêque de Québec.
La fondatrice de l’Armée de Marie, Marie-Paule Giguère, originaire de Lac-Etchemin.
Photo d’archives
- Son objectif est de se préparer à la fin du monde et à l’avènement du règne de Dieu.
- La fondatrice, décédée en 2015 à l’âge de 93 ans, prétend avoir vécu plusieurs expériences d’ordre «mystique» dans sa vie, comme recevoir des paroles et des visions de Dieu, de Jésus et de la Vierge Marie. Elle est vénérée par les fidèles puisqu’elle saurait ce qui adviendra lors de la fin du monde.
- En 1976, l’organisation prend de l’ampleur et achète son premier immeuble à Québec.
- En 1984, elle fait l’acquisition d’une ferme à Lac-Etchemin, qu’elle transforme en lieu d’éducation pour les nouveaux fidèles.
- À la fin des années 1980, le mouvement est à son apogée, avec environ 25 000 fidèles notamment au Québec, en Belgique et aux Pays-Bas.
- À l’hiver 2000, on inaugure Spiri-Maria, le nouveau siège social du mouvement, basé à Lac-Etchemin.
- Après des controverses, la Conférence des évêques catholiques du Canada statue que l’Armée de Marie n’est plus une association catholique reconnue.
- Tous les membres sont excommuniés en 2007 par le cardinal Marc Ouellet en raison de propos et de cérémonies controversées qui vont à l’encontre de la doctrine catholique romaine.
- On fonde alors une institution parallèle afin de continuer les enseignements, l’Église de Jean.
- En mai 2008, Marie-Paule Giguère est nommée «souveraine de la Terre entière» et assiste, l’année suivante, à sa propre canonisation. Elle nommera des apôtres par la suite.
- Selon des documents publics consultés par Le Journal, le mouvement possède, à travers ses multiples entités, des terrains et immeubles dont la valeur est évaluée à au moins 20 M$. Au cours des cinq dernières années, ils ont reçu plus de 6 M$ de dons.
Sources: Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse de l’Université Laval, Radio-Canada, Conférence des évêques catholiques du Canada, Armée de Marie, Agence du revenu du Canada



