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Virage informatique suspendu à Santé Québec | Québec refuse jusqu’ici de débloquer 280 millions

(Québec) Santé Québec suspend son grand virage informatique. L’un de ses projets majeurs visant à centraliser la gestion interne du système de santé est mis sur la glace parce que Québec refuse jusqu’ici d’autoriser les 280 millions nécessaires à sa poursuite, a appris La Presse.

Mis à jour à 0 h 04

L’Autorité des marchés publics a également confirmé avoir ouvert une enquête auprès de Santé Québec, qui a annoncé jeudi avoir suspendu sa transformation numérique.

Deux projets écopent : le fameux Dossier santé numérique (DSN) et le Système d’information en finances, approvisionnement et ressources humaines (SIFARH).

Ce dernier est si vaste que Québec l’a scindé en deux, en détachant le volet ressources humaines. La première partie, que l’on désigne par l’acronyme SIFA, est en marche depuis 2024, tandis que la seconde est dans les limbes.

Le coût total du projet SIFARH est estimé à 430 millions. C’est le double du budget qui avait été autorisé jusqu’à présent, soit 202 millions. Et l’estimation du volet SIFA a explosé.

Québec a autorisé 99 millions pour cette portion, alors que le budget révisé atteint maintenant 280 millions. Or, le Conseil des ministres tardait à donner son aval au dépassement de coût, si bien que Santé Québec a dû se résigner à le suspendre.

C’est que les coffres de la société d’État pour poursuivre ce projet sont vides.

Des documents internes obtenus par La Presse indiquent que « le budget alloué à ce projet » est épuisé depuis le 31 juillet. Il en coûtait environ 2 millions par mois pour le maintenir en vie.

Le « délai associé à la décision du Conseil des ministres concernant la poursuite du projet a un impact direct sur les dépassements budgétaires prévus pour l’exercice 2025-2026 », indique Santé Québec. Un tableau de bord interne sur la mise à jour du projet démontre par ailleurs que le sort du projet dépendait du feu vert de Québec : l’échéancier, les coûts et la gestion contractuelle étant toujours au rouge.

Le gouvernement Legault est sur les dents et veut à tout prix éviter un deuxième fiasco SAAQclic. Pour rappel, le virage informatique à la SAAQ a coûté beaucoup plus cher que prévu et des parties du projet initial ne sont toujours pas livrées.

Par ailleurs, c’est le Groupe LGS, aussi impliqué dans SAAQclic, qui a obtenu le contrat pour la réalisation de la première phase du projet de Santé Québec. Le contrat de LGS est estimé à 408 millions sur 15 ans.

Les travaux de la commission Gallant sont d’ailleurs cités par Santé Québec dans son analyse de risques.

Elle rappelle qu’ils suscitent une « attention particulière du public aux dépassements de coûts et dérapages des projets informatiques au Québec ».

Trois options

Selon nos informations, Santé Québec examinait trois options : poursuivre le projet en absorbant les coûts d’ici l’autorisation de Québec ; arrêter complètement le projet et payer des dommages estimés à 175 millions au fournisseur ; le suspendre le temps de recevoir des directives « en vue d’une optimisation ».

C’est ce dernier scénario qui a été retenu par la société d’État.

La décision a été communiquée à l’interne jeudi. « Comme vous le savez, la transformation numérique et des pratiques cliniques du réseau de la santé et des services sociaux est incontournable. Elle constitue un levier essentiel pour mieux servir la population, soutenir nos équipes et réduire la lourdeur administrative qui freine encore trop souvent leur travail », a écrit la vice-présidente — Technologies de l’information, Erika Bially.

« Les conditions essentielles à [la] réussite » des projets DSN et SIFA « ne sont plus actuellement réunies », résume Mme Bially.

Dans ce contexte, nous prenons la décision difficile, mais responsable, de prendre un pas de recul et de reporter le lancement […] du DSN et de suspendre temporairement le projet SIFA.

Erika Bially, vice-présidente — Technologies de l’information, chez Santé Québec

Dans le Salon rouge le même jour, tant le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Gilles Bélanger, que le ministre de la Santé, Christian Dubé, assuraient que ces projets suivaient leur cours comme prévu.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Gilles Bélanger, ministre de la Cybersécurité et du Numérique

« On n’a aucune alarme à ce jour. Et nous sommes sûrs de réaliser ces projets-là à l’intérieur des enveloppes budgétaires », a déclaré le ministre Gilles Bélanger en réponse aux questions du député Vincent Marissal.

Enquête de l’AMP

Dans sa communication publique jeudi, Santé Québec rappelle « qu’en parallèle, l’Autorité des marchés publics effectue une analyse de la gestion contractuelle de projets informatiques dans les organismes publics ». « Nous souhaiterons également prendre connaissance des recommandations pour assurer une saine gestion du projet SIFA », écrit la société d’État.

Or, en soirée, l’AMP a confirmé « avoir ouvert un dossier d’enquête auprès de Santé Québec ».

« Comme le dossier d’enquête est en cours, nous ne pouvons pas la commenter davantage afin d’en préserver la confidentialité et de ne pas compromettre le travail qui est actuellement mené », a-t-on ajouté.

Santé Québec tergiverse depuis des mois quant au sort du projet SIFA, selon nos informations. Il faut rappeler que le ministère de la Cybersécurité et du Numérique a demandé l’abandon du projet à la suite d’un audit de performance.

Or, un examen interne a démontré que le projet, à long terme, doit générer des économies importantes. Il est aussi décrit comme un projet « essentiel » pour le réseau de la santé.

Un report pour le DSN

Dans le cas du Dossier santé numérique, son report devenait de plus en plus inéluctable à l’approche du déploiement du projet au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et de la Mauricie–Centre-du-Québec prévu le 29 novembre.

La Presse rapportait en septembre que le DSN avait du plomb dans l’aile et que l’implication des médecins plongeait Santé Québec dans l’incertitude en raison de l’impasse des négociations. Ceux-ci exercent des moyens de pression dans le cadre de leurs négociations avec Québec et ne participent plus au projet.

Alors que le SIFA est mis sur la glace, le ministre Christian Dubé vient de faire débloquer 95 millions supplémentaires dans le projet, la formation de la main-d’œuvre ayant été sous-estimée dans la planification financière. Ces sommes font passer le coût estimé du projet DSN de 307 à 402 millions de dollars. Le déploiement du DSN pourrait être reporté au mieux en février, après les Fêtes. Chaque mois de retard entraînerait des coûts additionnels de 11,5 millions.

Avec Tommy Chouinard, Marie-Eve Cousineau et Hugo Joncas, La Presse

Qu’est-ce que le DSN ?

Le Dossier santé numérique (DSN) doit centraliser toutes les données cliniques des patients, y compris les rendez-vous et les ordonnances de médicaments, dans un dossier unique accessible en ligne. Il doit permettre aux Québécois de consulter leur dossier de santé à partir d’une tablette, d’un téléphone portable ou encore d’un ordinateur. Pour les professionnels de la santé et les médecins, il permet un accès centralisé au dossier médical du patient.

Qu’est-ce que le SIFARH ?

La planification du Système d’information des finances, de l’approvisionnement et des ressources humaines (SIFARH) a débuté en 2018. Santé Québec a récupéré le projet suivant sa création en 2024. Le programme doit permettre de centraliser la gestion interne du système de santé. Le volet des finances et de l’approvisionnement a été regroupé dans SIFA, celui des ressources humaines dans SIRH. C’est la première partie qui est en marche, tandis que SIRH est dans les limbes.

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