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Tout le monde pleure, Oli

« Comment va ton gars ? »


Publié à 6 h 00

Immanquablement, quand vous croisez Olivier Jean, il prend des nouvelles de vos enfants.

« Mon gars va bien, Oli.

« Les tiens ? »

Je dois ici me raisonner et écrire au passé…

Quand vous croisiez Oli, donc, il partait sur ses deux gars, intarissable. Il jouait l’exaspéré devant les soubresauts de l’adolescence, mais ce que ses récits touffus et détaillés de la vie de ses gars révélaient, c’était une vérité immuable : il était proche de ses enfants, un papa poule, présent. Super présent.

Olivier Jean était un des meilleurs photographes de presse au Québec, au Canada. Il a gagné tous les prix de photojournalisme au pays – des Antoine-Desilets, des National Newspaper Awards – au sein de cette stellaire équipe de photographes de La Presse.

Mais Oli était d’abord un père.

Et un chum, le chum de Catherine, notre collègue graphiste.

Un frère, un fils.

Et un ami… l’ami de tant de gens.

Il faut accorder les verbes au passé parce qu’Oli est mort mercredi, subitement.

Comme beaucoup de photographes de presse, Oli était un bourru sensible. Je le dis avec toute l’affection du monde et les gens du métier vont comprendre. Un brin chialeux, un brin cynique.

Depuis jeudi, sa constellation d’amis publie des photos d’Oli. Et ça m’a frappé en voyant ce best of : Oli allait en reportage dans une réserve autochtone, à la DPJ ou dans un taudis avec les plus poqués d’entre nous et les photos qu’il en rapportait suintaient immanquablement l’empathie et l’humanité.

Je cite Ivanoh Demers, son grand ami : « Oli était tout un photographe, parce qu’il écoutait les gens. Avec une empathie hors du commun et une connaissance exceptionnelle de l’être humain. »

Le côté bourru, c’était un bouclier pour qu’on oublie qu’il était un tendre.

Depuis jeudi, des dizaines d’amis d’Oli publient des hommages émotifs sur Facebook : de longs textes sentis ponctués d’anecdotes, de citations de notre homme dans toutes sortes de contextes, de remerciements pour l’ami doux et attentif qu’il fut.

Audrey Ruel-Manseau : « Tu étais un des piliers de ma vie. Un grand frère, toujours présent, au bout du fil, au pas de ma porte. Un bouclier émotif quand la vie bardassait. Tu dédramatisais tout à grands coups de “vidange”, de “poubelle” et de “gros calisse”. »

(Oli était d’une honnêteté brutale, exprimée crûment.)

Simon-Olivier Lorange : « Pour chaque appel téléphonique sec depuis son char (“j’te rappelle…”), il compensait par 1000 attentions, guidé par un souci du détail que peu de personnes possèdent. Il conseillait et consolait, suivait son monde avec diligence. Même avec des dizaines de dossiers ouverts, il n’échappait rien. Quand il devait s’absenter, il distribuait les tours de garde. “Garde-le à l’œil, je lui écris tantôt”, m’a-t-il ordonné l’hiver dernier quand un ami commun a perdu son père. Bien reçu, monsieur Calisse… »

Marie-Michèle Sioui : « T’avais toujours 150 idées de reportages. T’auras pas le temps de les réaliser. Tu voulais tout le temps t’occuper des autres. T’étais bruyant, t’étais drôle, intelligent et sensible. J’ai jamais existé comme journaliste sans toi. Depuis Rue Frontenac, t’as toujours été là. T’avais les meilleures expressions et les meilleurs surnoms. J’ai été chanceuse d’être ta Minou. Repose-toi, Oli, je t’aime. »

Fanny Lévesque : « Tu m’as pris sous ton aile dès mon arrivée dans la grande famille de La Presse. Quand j’arrivais de Sept-Îles, que je ne savais pas c’était où la Place des Arts, quand je travaillais les soirs, quand je m’ennuyais des miens. Tu savais que je n’avais pas fait ce chemin-là pour rien. On s’est liés d’amitié naturellement. Tu m’as fait une place dans ta garde rapprochée. T’échappais rien. Ta sensibilité est unique. Ton art, grandiose. T’étais le genre d’ami à qui je disais “je t’aime” en raccrochant. Je t’aimerai toujours, mon bel ami. »

Olivier Jean savait anticiper LA photo bien avant de cliquer, mais surtout, il savait comprendre et connecter avec ses semblables. Avec ses amis, oui. Mais avec les étrangers qu’il croisait en reportage, aussi.

C’est une qualité humaine qui sert le métier de photojournaliste. Les meilleurs maîtrisent le côté technique de la photo, aspect que je ne saurais vous expliquer. Mais les tops savent en plus lire l’humeur d’une pièce, comprennent l’évènement et les gens. Savent quand intervenir dans l’entrevue du journaliste. Quand photographier. Quand ne pas photographier.

PHOTO CAROLIE TOUZIN, ARCHIVES LA PRESSE

Lors d’un reportage sur Sébastien Matte portant sur le don d’organes et l’aide médicale à mourir, le photographe Olivier Jean dépose ses caméras le temps d’aider l’infirmière, Arianne Faille, et soulager M. Matte d’une chaleur accablante.

Les très grands photographes savent saisir l’essence, le moment. Et des fois, la vérité…

Oli avait tout ça, en triple. D’où les prix, d’où les hommages.

Je l’ai connu au Journal de Montréal, nous y étions entrés la même année, 1999. Il m’a écrit dans sa prose dénuée de fioritures, il y a quelques années : « Sommet des Amériques meilleure job ever avec toi… »

Je découvrais un photographe punk, qui carburait à l’adrénaline du terrain. Un humain festif, gentil, loyal, équipé d’un prodigieux détecteur de bullshit.

Mercredi, j’étais en entrevue pour une chronique à venir et j’ai reçu un appel de Vincent Larouche. Je ne l’ai pas pris. Mais deux minutes après, nouvel appel, de Daphné Cameron cette fois…

Deux appels, non précédés d’un texto, d’amis de La Presse en moins de deux minutes ?

Il se passe de quoi.

J’ai pris l’appel.

Daph pleurait sans retenue. J’ai eu de la misère à comprendre ce qu’elle disait. J’ai fini par comprendre : Oli est mort.

J’ai mis le cap sur La Presse, je sentais que je devais y être. Dans l’Uber, j’ai fait un des appels les plus difficiles de ma vie. J’ai appelé mon ami Dominic Fugère, grand ami d’Olivier Jean. La bonne humeur de Doum m’a tout de suite brisé le cœur quand il a répondu, je savais que j’allais briser le sien.

Doum a crié quand je lui ai appris la nouvelle.

Il a mis sa blonde, Pascale Lévesque, en conférence. Et Pascale a crié encore plus fort.

« Dis-moi que c’est pas vrai !

— Désolé… »

À La Presse, tout le monde pleurait Oli…

Tout le monde pleurait, Oli.

En mettant le pied dans la salle, Katia Gagnon pleurait. Tu vas me dire que c’est facile de la faire pleurer, la grande Kat, mais ce coup-là, c’était différent.

Toutes tes « épouses » de travail pleuraient : Daph, Gabrielle, Caroline…

Notre grand boss François avait les yeux mouillés, Martin Tremblay avait les yeux mouillés, Alain Roberge aussi. Vincent Larouche. Je n’ai pas croisé tes chums photographes François Roy, David Boily et Patrick Sanfaçon, mais ils sont inconsolables : « Un coup de pelle dans la face », a dit Pat.

Gabrielle a pris l’appel d’Alain Décarie, ton complice photographe du Journal de Montréal, elle était bouleversée de devoir lui annoncer ta mort.

Tout le monde pleurait, Oli. Je ne me souviens pas quand j’ai été en présence d’un tel torrent de larmes.

Tout le monde attendait le retour d’Ariane Lacoursière, une autre de tes épouses de job, partie chez toi. Personne ne voulait quitter La Presse avant le retour d’Ariane, pour lui éviter de revenir dans une salle de rédaction déserte. Nos cœurs sont assez déserts comme ça.

Oli, François Foisy vient d’écrire ceci sur Facebook, je pense que ça te cerne à merveille : « Le monde devenait toujours plus beau, plus coloré, plus imprévisible une fois que tu entrais dans la pièce. Une sorte de savant fou mélangé à un cœur sur deux pattes. Pis drôle, mais drôle… »

Je lis les mots de François, Oli, pis je me souviens de ton sourire en coin qui venait en kit avec cet éclair gentiment malicieux que tu avais dans l’œil. Avec ta casquette vissée en diagonale sur ta tête, ça te donnait un air éternellement juvénile…

Ivanoh Demers a publié une photo de toi, tu transportes ton téléobjectif sur ton épaule, ça devait être un évènement religieux parce qu’Ivanoh te cite : « On est venus photographier Dieu… »

C’était une joke, mais si Dieu existait, tu aurais pris la meilleure photo de lui, celle qui le révèlerait dans toute sa substantifique moelle.

Olivier était un des meilleurs photographes au pays, bien sûr. Mais il était un père, un amoureux, un frère, un fils, un ami encore meilleur.

Dans tous ces rôles, présent à l’os.

Il demandait des nouvelles de ses amis et de leurs enfants. Il était le meilleur ami d’Albert, un des fils de Vincent et Gabrielle.

Jasmin Lavoie l’a si bien dit : « Tu étais là pour ton monde. Pour tes boys. Pour ta blonde. »

Ton monde, Oli, ne t’oubliera jamais.

On n’oubliera jamais tes photos. Mais surtout, surtout, ta présence ne sera jamais oubliée. C’est ce qui nous manque déjà. Ces mots-là reviennent si souvent dans les hommages : présent, présence.

Je lis les hommages depuis jeudi et je me demande, Oli, ton monde est tellement vaste… où est-ce qu’on va faire tes funérailles ? Ça va prendre le Centre Bell, je pense, là où t’as « shooté » tellement d’évènements.

Là, Oli, c’est moi qui pleure parce que je viens de lire les mots de ton fils Bili sur Instagram. Si tu te demandes s’il savait que tu l’aimais, lui et son frère Raphaël… La réponse est un OUI retentissant.

Et ton monde, Oli, va rappeler à tes boys que la plus grande fierté de leur père n’était pas ses prix de photojournalisme, mais bel et bien eux, tes deux enfants que tu aimais plus que tout.

Prends des photos de ton monde, de là-haut, Oli.

Ce seront les plus belles, comme d’habitude.

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