Pat Brisson, le puissant et richissime agent qui mange ses restants

LOS ANGELES | Le prestigieux magazine Forbes le classe au titre de sixième agent le plus puissant dans le monde du sport, même s’il est seulement dans le hockey. Ses clients sont sous contrat pour environ 2 milliards de dollars (CAN). Mais il mange ses restants le lendemain et pourrait se fondre dans votre ligue de garage sans que vous sachiez jamais ce qu’il fait dans la vie. Car il fera les mêmes blagues de ligue de bière que vous et prendra volontiers la Bud Light chaude que vous lui offrez et qui traînait à travers les vieux supports athlétiques de votre poche de hockey.
La semaine dernière, j’ai rencontré Pat Brisson dans son bureau de Beverly Hills.
D’abord, je sais très bien qu’il n’y a rien d’extraordinaire à manger ses restants. Je ne veux pas le féliciter ou être flagorneur à son égard. C’est juste que, dans son monde, je ne suis pas convaincu qu’il y en a tant que ça qui mangent leurs restants.
C’était plutôt pour illustrer comment ce gars-là, qui est tombé, à 22 ans, dans la potion magique du jet-set californien, est encore one of the boys. Désolé pour l’anglais. Je ne trouvais pas mieux.
J’étais à Vegas et à Los Angeles pour plusieurs reportages. Je tenais à le rencontrer dans le courant de mon périple.
Je le voyais vers 15h. Je suis arrivé trois heures à l’avance. C’était à Beverly Hills, quand même. J’allais sûrement apprécier les alentours. Devant son bureau, il y a un centre d’achat extérieur ultraluxueux. Il faisait 3000 degrés. Je cherchais un restaurant ou un bar sans trop me ruiner. Si j’achète une bière, je ne pourrai pas la réclamer sur mon compte de dépenses.
Il y avait un «Everything But Water». J’étais content. J’ai marché pour le trouver avant de constater que c’était un commerce de maillots de bain et non un bar. Sinon, c’était des affaires de thé bio et de bonbons japonais. J’ai finalement trouvé un resto mexicain un peu plus loin.
Comme dans Suits
Vous avez déjà regardé la série Suits? Ça me faisait penser à ça quand je suis entré dans l’immeuble du bureau de Pat Brisson. C’est un gros gratte-ciel vitré.
L’adjointe de Brisson, Jojo Hoffman, vient m’accueillir auprès de l’agente de sécurité au rez-de-chaussée. Elle est super cool. Mais elle m’explique que c’est rare qu’il ait le temps d’accorder des entrevues en personne dans son bureau. Que ça l’attriste de ne pas toujours pouvoir dire oui. Et que je dois avoir de bons contacts pour qu’il accepte de me rencontrer.
Ça m’intimide un peu quand elle me dit ça.
Ça fait 15 ans que je travaille dans les médias. Je n’ai pas souvent été intimidé. C’est une question de professionnalisme. La dernière fois, c’était Johnny Hallyday, car je suis un maniaque de la chanson française.
Pat Brisson aussi m’intimide. J’ai étudié en droit. J’ai souvent rêvé à une carrière dans le droit du sport ou comme agent. Et lui, c’est l’agent des agents. Pis là, j’entre dans son bureau et c’est comme dans un film. C’est en coin, tout en vitre. Je vous le dis, on dirait le bureau d’Harvey Specter dans Suits. Il y a des dizaines d’articles de collection fascinants. Évidemment, celui qui domine tout le reste, c’est un chandail de Crosby avec l’Océanic.
Notre chroniqueur Jean-Nicolas Blanchet a rencontré Pat Brisson dans son bureau de Beverly Hills. On voit bien ici le chandail de Sidney Crosby que ce dernier portait avec l’Océanic de Rimouski.
Jojo Hoffman
Juste avant d’entrer, je croise le trophée du gant doré de Max Fried, l’as des Yankees. C’est aussi un client de cette agence. C’était la première fois que je voyais ce trophée en vrai.
Du bureau dans les hauteurs de Pat Brisson, on voit le campus de l’établissement UCLA, l’océan Pacifique, Santa Monica, Venice Beach et, au pied, c’est le club de golf qui a accueilli l’US Open en 2023. En plus, c’est un de ses deux bureaux. Et ils vont déménager pour du mieux. Et Pat Brisson, lui, à 60 ans, a l’air de 45 avec sa gueule carrée d’acteur et sa coiffure de surfeur californien.
J’appelle mon père pour lui dire que je suis intimidé avant d’arriver. Il me dit que c’est lui qui devrait être intimidé de me rencontrer. Je lui dis ça à mon entrée. Il semble la trouver très drôle. Ça brise la glace.
Entre Québécois
C’est bien normal pour lui de me recevoir. «Entre Québécois, on doit s’aider», me lance-t-il d’entrée de jeu.
Ce n’est pas long qu’à travers notre discussion, il me pointe un immeuble à quelques centaines de mètres, qu’on voit bien de son bureau.
«Tu vois là-bas, à côté de l’immeuble blanc, la bâtisse? C’est là que j’ai commencé quand je suis arrivé en 1987», m’indique-t-il.
Notre chroniqueur Jean-Nicolas Blanchet a rencontré Pat Brisson dans son bureau de Beverly Hills.
Photo JOJO HOFFMAN
Il venait de finir son hockey junior à Hull et habitait chez son ami Luc Robitaille, qui faisait ses débuts avec les Kings. Il n’avait pas une cent et son éducation se limitait à une formation collégiale.
Dans la bâtisse qu’il me pointait, il a fondé un lave-auto. Il gagnait 4$ l’heure, comme travailleur illégal. Il donnait aussi des leçons de hockey aux petits et aux grands pour s’en sortir.
Mais, l’année suivante, un séisme dans la LNH a changé sa vie: Wayne Gretzky était échangé à Los Angeles.
Patrice Brisson avec l’équipe de Hull.
JMTL
«Là, le hockey s’est mis à exploser en Californie. J’ai utilisé les pions que j’avais. Je connaissais la chambre des joueurs, je connaissais le hockey… Je suis devenu un connecteur dans le monde du hockey. Et je me suis mis à donner des cliniques. J’en donnais à Mike Myers, Tom Cruise, Kiefer Sutherland, par exemple. Je louais une glace et ça me donnait environ 300$», m’explique-t-il. Il avait 23 ans.
Avec son grand ami Luc Robitaille, il s’est aussi impliqué pour construire plusieurs arénas.
En 1993, à 28 ans, il se lance dans une carrière d’agent de joueurs avec comme premier client, vous l’aurez deviné, Luc Robitaille. «Entre Québécois, on doit s’aider». Ça prend tout son sens.
Dans le jet-set
Si vous avez déjà vu Pat Brisson en entrevue à la télé, il est identique, c’est-à-dire très généreux. Il répond à toutes les questions et n’a pas la langue de bois. Mes questions plus délicates, je n’hésite pas à les lui poser.
Je lui dis qu’il me fait penser à des joueurs de mon équipe de ligue de garage. Il part à rire.
«C’est exactement ça voyons!» me répond-il, sans trop comprendre pourquoi ce serait le contraire.
Car il me le rappelle souvent au cours de l’entrevue. «Je suis un gars de Valleyfield!» Il me parle de l’influence parentale et de son amour pour son papa et sa maman, qu’il est allé voir au Québec il y a deux semaines.
Notre chroniqueur Jean-Nicolas Blanchet a rencontré Pat Brisson dans son bureau de Beverly Hills. Ici, Brisson montre à Jean-Nicolas Blanchet ses deux sièges de Forum de Montréal, qu’il conserve dans son bureau
Jojo Hoffman
«Mais Pat, tu es quand même plongé dans le jet-set de Hollywood!» l’ai-je relancé.
«C’est drôle que tu me dises ça. Je suis en train de regarder le spécial sur Charlie Sheen sur Netflix. Il a mon âge.»
Si vous n’avez pas suivi son histoire, Sheen a connu toutes sortes de déboires judiciaires, notamment causés par l’usage de drogue.
«De 22 à 35 ans, tu sais, j’ai vécu là-dedans. J’ai même connu Charlie Sheen. J’étais dans les coulisses des spectacles de Guns N’ Roses, de Mötley Crüe… J’étais jeune. J’ai bien vécu Hollywood avec Luc, pour la musique et le divertissement […] On sortait avec des célébrités, on pouvait perdre la tête. On était jeune, avec beaucoup d’énergie. On n’était pas des trous du cul. On était les gentils Canadiens. On avait beaucoup de plaisir. On a déraillé, mais on réussissait toujours à revenir sur les rails un peu à cause de la discipline du hockey et parce qu’on n’oubliait jamais d’où on venait.»
Parler d’argent
C’est facile de dire qu’on se rappelle d’où on vient dans une entrevue. «Mais Pat, tu fais beaucoup d’argent! Ça impressionne ça, surtout au Québec, tu le constates ça?»
«Je comprends que ce n’est pas tout le monde qui peut avoir des opportunités pour arriver au niveau où je suis arrivé. Et je ne me compare jamais […] Mais je te jure, ça ne me traverse jamais l’esprit l’argent. Je reviens à mes racines de Valleyfield. Je dois beaucoup à la culture québécoise. Ça m’a donné une meilleure vision, un meilleur contrôle. Je ne suis pas gratteux, mais je donne beaucoup. Je ne fais pas d’abus, je mange mes restants. Je sais à quel point je suis chanceux. Je ne tiens rien pour acquis.»
Concernant la richesse, il ne faut pas oublier que c’est bien relatif à Los Angeles. «Je vais aller manger cette semaine au resto. On sera cinq. Il y en a quatre qui valent 500 millions de dollars. Je ne suis pas là», lance-t-il en riant.
Pat Brisson aime encore chausser ses patins avec ses amis et ses clients. Ici on le voit à l’été 2025, avec plusieurs joueurs de la LNH que vous saurez sans doute reconnaître. Au centre, c’est l’ancien du Canadien et des Red Wings Mickey Redmond.
Fournie par Pat Brisson
Ça ne le gêne pas de parler d’argent. «Pas de problème, pose-moi tes questions», dit-il. Il reconnaît que ce n’est pas facile de devenir indépendant de fortune et qu’il ne se prive de rien. «Mais ça ne change rien de conduire une plus grosse voiture», me lance-t-il, avant de revenir un peu sur ses dernières paroles en me parlant de la prochaine voiture qu’il convoite. Quand tes clients, ce sont Sidney Crosby et Nathan MacKinnon, ça s’excuse.
Je lui ai évidemment parlé de Crosby avec le Canadien. J’avais le goût de lui dire: «Envoye donc!».
«Crosby à Montréal! Qui a dit ça? lance-t-il en riant. Honnêtement, Sidney a été clair avec sa position. Il avait l’option de signer ou pas à Pittsburgh et il a signé durant deux ans. Il a dit que c’était là qu’il était heureux.»




