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1929-2025 | Décès de Béatrice Picard, doyenne des comédiennes québécoises

Une étoile s’est éteinte dans la galaxie des vedettes québécoises. Après sept décennies de carrière à la radio et à la télévision, au théâtre et au cinéma, la doyenne des comédiennes au Québec est morte mardi, à 96 ans.


Publié à
11 h 47

« C’est avec une profonde tristesse que nous annonçons le décès de notre mère, Béatrice, survenu ce matin, le 9 décembre. Durant toute sa vie, Béatrice a su conjuguer sa vie familiale avec sa passion pour les arts de la scène et les causes qui lui étaient chères », ont écrit ses fils par voie de communiqué.

Béatrice Picard aura célébré la vie jusqu’à la toute fin. L’interprète qui a longtemps prêté sa voix à Marge Simpson, dans la version québécoise de la série culte, aurait aimé jouer au théâtre… jusqu’à 100 ans et plus : « Dans mon cœur, j’ai 20 ans », disait-elle en entrevue avec l’animateur André Robitaille, en 2022. « Je sais fort bien que je vais mourir un jour, comme tout le monde. Mais je ne veux pas y penser. Sinon, je ne ferai jamais rien. »

L’actrice et chanteuse France Castel nous avait confié, il y a un an, sa grande admiration pour son amie. « Béatrice est une actrice extraordinaire et une force de la nature ! Elle a toujours été curieuse, motivée et enthousiaste. Elle cherche sans cesse à faire de nouveaux projets au théâtre et ailleurs. Et elle a toujours été une femme avec une très grande ouverture d’esprit. »

Le feu sacré

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard en 2020 au début de la pandémie. La photo a été prise par la fenêtre avec un arc-en-ciel qu’elle avait colorié.

Chaque matin, au pied du lit, Béatrice Picard visualisait « une chose lumineuse, un petit bonheur » pour l’aider à plonger dans le jour nouveau, nous avait-elle confié en entrevue, à l’été 2022. La comédienne avait eu des ennuis de santé, mais elle voulait calmer les inquiétudes du public : « Rassurez vos lecteurs ! C’est juste du surmenage. »

Madame Picard a toujours eu le feu sacré. Si son corps lui a lancé des alertes, elle ne parlait jamais de retraite. Elle appréhendait le fait de ne plus avoir de projet. Lorsqu’elle a été dans l’obligation de résilier son contrat pour la tournée de Huit Femmes, elle l’a fait avec regret et en parlait avec des trémolos dans la voix. Malheureusement, elle n’avait plus la force de combattre ses récents problèmes de santé.

Voir la vie en couleurs

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Magalie Lépine-Blondeau, Béatrice Picard et Véronique Cloutier, au gala des Gémeaux en 2019

Au début de la pandémie en avril 2020, La Presse l’avait jointe au téléphone, alors que tous les aînés étaient confinés chez eux. « J’ai toujours vu le verre à moitié plein ; jamais à moitié vide. Je regarde la vie en couleurs », disait-elle, joviale. « Cet arrêt forcé nous force à faire une introspection. Chacun doit prendre conscience de son train de vie de fou ! Une fois cette crise terminée, les choses pourront changer dans la société. Du moins, je l’espère… »

Son « petit bonheur » de chaque matin nourrissait sa joie de vivre et aussi son engagement social. Mme Picard s’est toujours impliquée dans des causes pour aider les personnes seules, isolées, démunies. Entre autres avec l’organisme Les Petits Frères. « Je veux aider ceux et celles qui n’ont pas eu autant de chance que j’ai eue dans la vie », expliquait-elle au journaliste de La Presse.

De Miss Radio-Télévision aux Simpson

Béatrice Picard a amorcé sa carrière dans les années 1940. Avec Denise Filiatrault et Janette Bertrand, c’est l’une des dernières femmes du métier ayant fait partie des débuts de la télévision de Radio-Canada, en 1952. À l’époque, la comédienne a même été « Miss Radio-Télévision », au gala des Splendeurs de Radio-Canada. Un prix qui la couronnait au titre de « nouvelle reine de la colonie artistique » au pays.

Ensuite, l’actrice va marquer des générations de téléspectateurs, avec ses personnages mémorables comme Angelina Desmarais (Le Survenant), Alice Lebrun (Cré Basile), Blanche Bellemare (Symphorien), ou encore dans Les Brillant, km/h, Un gars, une fille… Pour les plus jeunes, elle restera la voix de Marge Simpson, de la populaire série d’animation Les Simpson (de 1989 à 2023).

PHOTO ANDRE PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Au gala Prends ça court ! en 2018

Sa feuille de route est impressionnante et impossible à résumer ici. Elle compte plus de 250 productions, tous genres confondus. Au théâtre, son dernier grand rendez-vous a été Maude, dans la pièce Harold et Maude, chez Duceppe, en 2017. Une compagnie où elle a joué plus souvent qu’à son tour. Elle a partagé la scène avec son fondateur, Jean Duceppe, qu’elle surnommait affectueusement « Dudu ». Au cinéma, c’est le film Suzanne et Chantal, en 2022, qui a obtenu le Prix du public de la compétition officielle au Festival REGARD à Saguenay. Il s’agit du premier court métrage écrit et réalisé par Rachel Graton. Le film raconte l’histoire de Chantal, 60 ans (Anne-Marie Cadieux) et Suzanne, 92 ans.

PHOTO FOURNIE PAR FESTIVAL REGARD

Béatrice Picard et Anne-Marie Cadieux dans une scène du court métrage Suzanne et Chantal de Rachel Graton

Toutefois, Béatrice Picard ne se sentait pas vraiment appréciée du milieu. Elle avait l’impression de ne pas être considérée par ses paires comme une grande actrice ; de celles à qui l’on donne les prix prestigieux et les beaux personnages du répertoire.

Les gens m’aiment bien, je le sais. Mais je ne suis pas la comédienne à qui on offre les grands premiers rôles. Ce n’est pas un regret ; c’est une constatation.

Béatrice Picard, en entretien avec André Robitaille en 2022.

En effet, bien qu’elle ait joué dans sa jeunesse quelques classiques au Rideau Vert, aux côtés de la respectée Yvette Brind’Amour, on pense à Béatrice Picard surtout pour des comédies, des rôles de femmes sévères, des veilles belles-mères acariâtres… Et ce, dès la vingtaine, alors qu’elle rêve de prêter sa voix aux grands personnages tragiques du répertoire. Or ces héroïnes sont alors confiées aux Denise Pelletier, Monique Miller, Andrée Lachapelle, Huguette Oligny…

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard en 1972

En 1965, lorsqu’Olivier Guimond apprend que Mme Picard interprétera son épouse dans Cré Basile, il est honoré, lui fils d’acteur de burlesque, de travailler avec une vraie « comédienne de théâtre classique ». Tout est relatif dans ce beau milieu.

La rencontre de Tremblay/Brassard

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard avec l’un de ses fils à l’entrée du Théâtre du Rideau Vert en 2019.

Il lui faudra attendre les années 1970 et l’arrivée d’une nouvelle génération pour que son jeu dramatique soit reconnu sur les planches. Pour le tandem Michel Tremblay et André Brassard, elle est de la distribution de Et mademoiselle Roberge boit un peu, puis d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, aux côtés de Gilles Pelletier. Au cinéma, elle incarne l’enragée Albertine dans Il était une fois dans l’Est.

Bien avant la libération des femmes, cette personnalité est la mère de quatre enfants hors mariage, tous des fils, dans les années 1950 et 1960. Chose très taboue à l’époque. Béatrice Picard a aussi été longtemps porte-parole des Petits Frères. Un organisme dont la mission est de contrer l’isolement des personnes âgées, et de mettre un peu de lumière dans la vie des plus démunis de la société. Plus récemment, elle a été la marraine du Salon des aînés de Saint-Jérôme où elle a donné plusieurs conférences.

Femme libre et libérée, rebelle et indépendante, Béatrice Picard aura su allumer durant plus de 70 ans la flamme du public québécois. Tout en partageant avec son éclatant sourire, ses petits bonheurs.

Six rôles marquants au théâtre

PHOTO CAROLINE LABERGE, ARCHIVES/FOURNIE PAR DUCEPPE

Béatrice Picard et Sébastien Ren dans Harold et Maude, chez Duceppe.

Bonne fête, maman

Une création d’Élisabeth Bourget, mise en scène par Gilbert Lepage, écrite spécialement pour Béatrice Picard. (1981-82, Duceppe)

Et Mademoiselle Roberge boit un peu

En 1971, une première collaboration avec le tandem Brassard-Tremblay. Elle joue avec, entre autres, Andrée Lachapelle, Denise Morelle, Amulette Garneau.

Gin Game

Adaptation d’Albert Millaire de la pièce de Donald Coburn. Un duo sur les planches avec Jean Duceppe en 1980.

Ils étaient tous mes fils

Dans une mise en scène de Serge Denoncourt, avec Guy Provost, aussi chez Duceppe, en 1991.

Fleurs d’acier

Avec un florilège d’actrices : Andrée Lachapelle, Françoise Faucher, France Castel, Linda Sorgini, Monique Richard. (2001-2002, puis en tournée).

Harold et Maude

En vieille dame indigne aux côtés de Sébastien René, son dernier grand rôle chez Duceppe.

Six rôles à la télé et au cinéma

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard et Sylvie Léonard ont joué ensemble dans le film Ma tante Aline

Le Survenant (1954-1960)

Elle incarne Angélina Desmarais, amoureuse du mystérieux personnage défendu par Jean Coutu, le Roy Dupuis des années 1950. Ce rôle l’a fait connaître du grand public.

Cré Basile (1966-1970)

Une populaire comédie de Marcel Gamache, avec entre autres Olivier Guimond, Denis Drouin, Amulette Garneau.

Symphorien (1970-1977)

Autre succès de Marcel Gamache. Aux côtés de Gilles Latulippe. Elle joue Blanche Bellemare, la mère d’Oscar Bellemare, joué par Jean-Louis Milette.

Un gars, une fille (1997-2003)

La belle-mère de Guy A. Lepage.

Un sourd dans la ville (1987)

Dans ce long métrage de Mireille Dansereau, adapté du roman éponyme de Marie-Claire Blais, Béatrice Picard partage la vedette avec Angèle Coutu et le (tout) jeune Guillaume Lemay-Thivierge.

Ma tante Aline (2007)

De Gabriel Pelletier. Béatrice Picard joue une fabuleuse septuagénaire sans le sou, ancienne chanteuse de cabaret, qui se réfugie chez sa nièce (Sylvie Léonard) pour éviter le centre d’accueil.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Béatrice Picard en 1958

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