La grève chez Postes Canada, un enjeu majeur

Le 25 septembre 2025, le Syndicat des travailleurs (es) des postes (STTP) lançait une grève générale donnant suite à une intention de transformation du service postal par le Gouvernement du Canada. Les conventions collectives en cause sont échues depuis le début 2024.
Depuis, les parties se regardent comme cheval et lapin dans une série de manifestations syndicales. D’abord, une grève est déclarée en novembre 2024 suivie d’une ordonnance de retour au travail. Puis des actions d’insatisfaction se sont manifestées subséquemment allant de l’interdiction des heures supplémentaires au refus de livrer des circulaires.
Le STTP représente 55 000 salariés distribués principalement dans deux conventions collectives, l’une pour les facteurs urbains et l’autre pour les facteurs ruraux ou suburbains.
Les causes de ce conflit de travail sont multiples: salaires, changements technologiques, réforme structurelle, situation financière déficitaire, concurrence du secteur privé et perte de marché.
Les parties vivent une situation asymétrique: d’une part le syndicat est ancré sur le maintien des acquis et d’autre part, l’employeur entend transformer le service postal pour le rendre viable.
Les revendications syndicales portent spécialement sur des salaires indexés à l’inflation, la retraite ou les avantages sociaux. S’ajoutent des garanties de maintien d’emploi face à l’automatisation ou, de manière générale, un refus global de toute réforme associée à un démantèlement du service postal public.
Par ailleurs, les revendications patronales s’appuient sur la survie financière de l’entreprise. L’employeur pointe du doigt des déficits antérieurs et anticipés qui, à son avis, sont insoutenables. Dès lors, le gouvernement entend procéder à une transformation radicale de Postes Canada qui affecterait plusieurs services traditionnels, notamment la livraison du courrier à domicile.
Mais l’histoire de Postes Canada est porteuse de réflexion. Depuis 20 ans, les livraisons de lettres, remplacées par les courriels, se sont affaissées d’un volume annuel de 5,5 milliards à deux milliards. En parallèle, le marché des colis s’est accru à cause du commerce en ligne.
Mais Postes Canada n’en a pas bénéficié. C’est le service postal privé qui l’a engrangé. Par conséquent, Postes Canada, antérieurement vecteur d’un service pancanadien essentiel, a perdu une large part de son utilité sociale. Reste notamment les avis de taxes ou d’impôts ou les chèques d’assistance sociale. Mais là aussi, Internet fait son œuvre contre la tradition postale.
Ce contexte a fait surgir un déficit annuel historique à une hauteur anticipée de 1,5 milliard de dollars en 2025. Dès lors, l’État y va d’une stratégie de négociation concessive où les réformes anticipées sont présentées comme étant indispensables. En soi, ce besoin de rationalisation est annonciateur du démantèlement, minimalement partiel, d’un service public national.
Et comme si tout cela n’était pas assez, l’intelligence artificielle n’a pas dit son dernier mot. Car elle pourrait s’avérer un passage obligé dans le futur du service postal. En effet, l’IA pourrait gérer les routes de livraison des facteurs en modulant les distances parcourues selon les volumes historiques. Elle pourrait également décider des modes de transports du courrier en fonction des priorités. Enfin, l’IA pourrait réduire diverses contraintes liées à la manutention des lettres ou colis afin d’en optimiser la livraison.
Quel est l’avenir de Postes Canada, en tenant compte de la montée de la poste privée pour les colis ou des communications électroniques pour le reste? Les stratégies de changement sont éminemment diversifiées: réduire la fréquence des livraisons (par exemple, trois fois par semaine), octroyer de nouvelles missions à Postes Canada comme des services bancaires légers, automatiser des centres de tri ou privatiser davantage.
En clair, le défi de cette négociation est majeur. Postes Canada est victime de la privatisation d’une part signifiante de ses activités et de la révolution de l’informatisation. Sans compter que l’IA est susceptible de l’affecter sensiblement.
Par conséquent, l’entreprise a perdu une partie importante de son utilité historique. Employeur et syndicat doivent trouver un compromis qui respecte d’une part la viabilité financière de Postes Canada et d’autre part, préserve des conditions de travail de qualité.
Cette grève marque un point de rupture d’un long déclin structurel. Postes Canada fait face à une transformation majeure.
Réaliser un tel changement postule une complicité patronale syndicale qui ne semble pas au rendez-vous. Depuis l’Arrêt Saskatchewan de la Cour suprême en 2015, ce changement ne peut être imposé. Les enjeux de la négociation devront être négociés ou arbitrés. Dans tous les cas, les parties ne sauraient construire leur avenir en prolongeant leur passé.




