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Courrier de France | De la crise politique au vaudeville

Éclairage sur un sujet d’actualité qui a animé la France, par notre collaborateur Philippe Teisceira-Lessard


Publié à 9 h 00

(Lyon) La droite refuse un premier ministre de centre ou de gauche. La gauche en veut un qui soit de gauche. L’extrême droite et l’extrême gauche refusent tout nouveau premier ministre sans élections. Et Emmanuel Macron renomme celui tombé il y a cinq jours à peine et dont presque personne ne veut. Vous perdez le fil ? Les Français aussi.

Le blocage politique dans lequel est plongée la France depuis plusieurs mois s’est transformé en vaudeville, la semaine dernière, alors que le président de la République semble à court de solutions pour dénouer la crise.

La France devait se doter d’un budget pour l’année 2026 ces jours-ci, mais deux premiers ministres successifs ont jeté l’éponge ces dernières semaines devant l’impossibilité de rallier une majorité à l’Assemblée nationale. Le second, Sébastien Lecornu, s’est vu confier la même mission, vendredi, après avoir démissionné à peine cinq jours avant.

« Je ne comprends plus rien à leur histoire », a laissé tomber la leader écologiste Marine Tondelier, vendredi soir, résumant bien le sentiment d’une grande partie de la population.

La même élue a évoqué une « faille spatiotemporelle, une boucle temporelle » pour expliquer le retour de M. Lecornu.

La mission que ce dernier se donne : « faire en sorte qu’au 31 décembre, il y ait un budget pour la Sécurité sociale et un budget pour l’État », a-t-il expliqué samedi. Il devra d’abord « sortir de ce moment qui est objectivement très pénible pour tout le monde ».

« Une situation un peu burlesque »

Pénible, c’est peu dire. Au cœur du problème : une Assemblée nationale complètement fragmentée, de multiples camps qui prennent position en vue de la présidentielle et des législatives de 2027 et refusent de passer pour ceux qui ont trahi leurs idéaux. Ajoutez à ce cocktail une forte représentation des deux extrémités du spectre politique – le Rassemblement national de Marine Le Pen et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon – rétives à tout compromis, et vous obtenez un système politique complètement bloqué.

Aucune majorité parlementaire ne semble pouvoir se dégager sur les dossiers les plus importants pour la bonne marche de la France, notamment sur les solutions à mettre en œuvre pour éponger les faramineux déficits du pays – 170 milliards d’euros en 2024.

En matière budgétaire, chaque leader politique appelle ses adversaires à la souplesse, sans vouloir en faire preuve de son côté.

Même portrait du côté de la réforme des retraites – un dossier théoriquement réglé depuis 2023 –, que la gauche voudrait rouvrir.

« On arrive à une situation un peu burlesque », commente Paul Bacot, professeur honoraire à Sciences Po Lyon, en observant la valse des premiers ministres. Comme au temps de la IVe République, dans la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, « il n’y a pas de gouvernements qui survivent très longtemps ».

En entrevue avec La Presse, l’expert remet toutefois la situation en perspective : « La particularité, c’est que pour l’instant, c’est une crise purement politique », analyse-t-il. « Il n’y a pas d’agitation dans la rue, il n’y a pas d’évènement particulier en dehors du cadre parlementaire et gouvernemental. Il faut relativiser la gravité de la crise. »

« Je ne comprends plus les décisions du président »

La semaine a été aussi celle de toutes les trahisons.

Édouard Philippe et Gabriel Attal, deux anciens premiers ministres d’Emmanuel Macron et toujours leaders centristes, l’ont carrément désavoué en direct.

Le président doit partir « immédiatement après que le budget a été adopté », a demandé le premier, candidat à la succession du chef de l’État. « Je ne comprends plus les décisions du président », a asséné le second, lui aussi dans les blocs de départ pour l’Élysée.

Ces sorties – par des personnalités qui ont été politiquement mises au monde par Emmanuel Macron – ajoutent de la pression sur un chef de l’État vilipendé de toutes parts. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon appellent à sa démission.

M. Macron recueille désormais à peine 14 % d’opinions favorables selon un sondage commandé par le journal Les Échos la semaine dernière : un record historique, à égalité avec la fin de mandat catastrophique de son prédécesseur, François Hollande.

On ne devrait toutefois pas parier sur une démission d’Emmanuel Macron, selon le professeur honoraire Paul Bacot.

« Ça me paraît très improbable », confie-t-il à La Presse, calculant les longs mois qui devraient s’écouler pour tenir un scrutin présidentiel, puis un scrutin législatif pour renouveler l’Assemblée nationale. « Sur le plan économique et sur le plan financier, il me semble que les conséquences seraient catastrophiques pour le pays. On voit bien déjà que l’économie souffre de l’incertitude en termes d’investissements, en termes d’emploi. »

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a d’ailleurs calculé que l’instabilité politique avait coûté 15 milliards d’euros à l’économie française depuis un an, en plus de plomber la demande dans le marché du travail.

Reste que l’emploi le moins stable ces jours-ci en France semble être celui de premier ministre.

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