La République Démocratique du Congo prête à jouer une qualification historique pour un peuple martyr

Ce mardi 14 octobre 2025, le Stade des Martyrs de Kinshasa s’apprête à vibrer comme rarement dans son histoire. La République Démocratique du Congo joue contre le Soudan pour une qualification historique à la Coupe du Monde 2026. Un moment que tout un peuple attend depuis 51 ans. Mais au-delà des enjeux sportifs, cette rencontre revêt une portée symbolique immense. Dans un pays meurtri par des décennies de guerre, de violences, de pillages et d’abandons, une victoire sur la pelouse pourrait devenir un cri de fierté collective, une manière de dire au monde que le Congo vit encore, qu’il résiste, qu’il n’a pas été réduit au silence. L’équipe nationale, deuxième du groupe avec 19 points derrière le Sénégal, qui a 21 unités, sait que les 90 minutes à venir pourraient bouleverser l’histoire contemporaine du pays.
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Car pendant que les projecteurs illumineront Kinshasa, d’autres zones du pays resteront dans l’obscurité, non pas par manque d’électricité, mais à cause des guerres. Dans l’Est, la violence continue de ravager des régions entières. Des groupes armés comme le M23, soutenus par le Rwanda selon de nombreux rapports internationaux tels que Amnesty International, sèment la terreur dans le Nord-Kivu. Les affrontements avec les forces gouvernementales ont entraîné des bombardements aveugles, des massacres et l’exode de millions de personnes. En 2024, au moins 100 civils ont été tués à Nyanzale et Mweso dans des attaques au mortier. À Binza, quinze personnes ont été exécutées en novembre. Les ADF, groupe armé ougandais, ont quant à eux massacré plus de 200 civils à Beni et Lubero. Aujourd’hui, plus de 7,3 millions de Congolais sont déplacés internes, vivant dans des camps surpeuplés, privés d’eau, de soins et d’avenir. C’est pour ces millions de voix étouffées que les Léopards entrent sur le terrain.
Un peuple qui sera fier
Le Stade des Martyrs, où se jouera cette bataille sportive, est un lieu chargé d’histoire. Érigé à la mémoire de quatre figures congolaises exécutées pour avoir résisté à la dictature de Mobutu, il est devenu au fil du temps un sanctuaire de la mémoire nationale : « Nous sommes bien concentrés, on sait très bien, il faudra gagner pour continuer la route vers la Coupe du Monde. Le taux de résultat ne sera pas possible. On a notre destin entre nos mains, donc bien sûr qu’on continue à croire, on fait une bonne campagne de qualification. On a marqué 14 buts, on en a pris 6, on a fait des bons résultats à l’extérieur, ce qui n’est jamais facile dans une campagne. Bien sûr qu’on y croit, on y croit parce qu’on peut aller à la Coupe du Monde demain soir en tant que premier», a déclaré le sélectionneur Sébastien Desabre, qui a été récemment quelque peu remis en questions pour certains choix de sa liste. Les supporters qui s’y rassemblent ne viennent pas seulement assister à un match, ils viennent communier. Ils portent en eux le poids de plusieurs générations. Des générations qui ont connu les dictatures, les pillages, les rébellions, les occupations étrangères. Ces fans viennent chanter pour conjurer la douleur, pour rappeler que malgré les larmes, malgré les morts, le peuple congolais est encore debout. C’est dans cette enceinte, symbole de résistance, que se joue bien plus qu’un score.
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Pour les Léopards, porter le maillot national dans un tel contexte dépasse la notion de sport. C’est un acte de résistance, une façon de redonner de la lumière à des millions de Congolais oubliés. Beaucoup dans cette équipe ont grandi au cœur de la crise ou ont des proches touchés par la guerre : « On est encore d’un coup, et puis on doit gagner aussi pour sécuriser notre place de second, mais pas oublier que le Sénégal peut faire un faux pas également face à Mauritanie et se qualifier directement. On est dans ce qu’on fait depuis quelques temps et on doit continuer à avancer. Donc bien sûr qu’on sait que demain, il va falloir avoir le ballon pour pouvoir gagner contre le Soudan. C’est une très bonne équipe. Il a perdu simplement deux fois dans ces qualifications, dans le même nombre de défaites que nous. Et ils ont pris simplement cinq buts. Ils ont même pris un but de moins que nous. Donc ça montre la valeur de cette équipe. C’est difficile à faire vrai. Donc, ce sera à nous de trouver des solutions et on va essayer de les trouver par le jeu », a-t-il poursuivi. La RDC est un pays paradoxal, d’une richesse naturelle inouïe, mais parmi les plus meurtris du continent. Ses sols recèlent cobalt, cuivre, coltan et or. En soit, des minerais essentiels à l’économie mondiale, mais sa population en récolte peu de fruits. À Kolwezi, l’expansion minière se fait au prix d’expulsions forcées et de violations massives des droits humains. Les populations perdent leurs terres, leurs maisons et tout accès aux services essentiels.
Dans le même temps, la violence sexuelle atteint des niveaux alarmants : plus de 133 000 cas ont été enregistrés en 2023, un chiffre en hausse constante. Dans les camps autour de Goma, Médecins Sans Frontières a soigné plus de 25 000 victimes, dont 40 % étaient des jeunes filles. Ce contexte tragique pèse sur chaque match, chaque hymne, chaque but marqué. Une qualification pour la Coupe du Monde 2026 serait une première depuis 1974, une résurrection symbolique pour une nation qui a trop longtemps été associée à ses drames. Les joueurs en sont conscients : chaque but marqué contre le Soudan ce soir aura la force d’une déclaration politique, sociale et identitaire. Car en vérité, la RDC ne jouera pas seulement contre le Soudan. Elle jouera contre des décennies de souffrances accumulées, contre le silence de la communauté internationale, contre le sentiment d’abandon que connaissent tant de Congolais. Elle jouera pour que les camps de déplacés de Goma et Bunia sachent qu’ils ne sont pas oubliés. Elle jouera pour que les cris étouffés trouvent un écho dans le monde entier. Si elle décroche cette qualification, ce sera bien plus qu’un exploit sportif : ce sera un acte de dignité nationale. Une manière de dire que malgré la guerre, malgré la pauvreté, malgré la douleur, la République Démocratique du Congo est vivante et se bat. Ce soir, sur la pelouse verte du Stade des Martyrs, un peuple entier veut croire que l’histoire peut enfin changer de camp.
Pub. le 14/10/2025 18:18
– MAJ le 14/10/2025 20:55




