Le docu de la semaine | Aurore : la vérité au-delà du mythe

Elle a marqué notre imaginaire collectif, contribué à une certaine idée qu’on se fait d’une victime et, surtout, de sa marâtre. Mais qui était Aurore ? Pourquoi son histoire nous a-t-elle autant marqués ? Un documentaire fait le point.
Publié à
7 h 00
Mêlant images d’archives, entrevues d’experts et extraits de films, Aurore : entre mythe et réalité, réalisé par Sébastien Rist et Aude Leroux-Lévesque, est présenté ce lundi à 20 h, sur ICI Télé. Une heure riche en analyses et réflexions.
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« En 2020, pour le 100e anniversaire du décès d’Aurore, j’ai vu un court reportage à Radio-Canada », explique le scénariste, idéateur et producteur Jean-Simon Chartier, en entrevue. « J’avais vu le film de Luc Dionne (2005), mais sinon, j’ai réalisé que je ne connaissais absolument rien de cette histoire. Ça m’a donné le goût d’investiguer ! »
Au-delà de la marâtre, du rond de poêle et du savon, on en sait effectivement bien peu au sujet de la jeune fille, Aurore Gagnon, au prénom associé à tout jamais au martyre, dans la psyché québécoise du moins. « Mais il y a une histoire à raconter, au-delà de certaines images, restées dans l’imaginaire populaire », poursuit-il, en allusion au film de Jean-Yves Bigras (1952), avec Lucie Mitchell dans le rôle de la belle-mère et Yvonne Laflamme en Aurore. Or ce film culte est lui-même une adaptation d’une pièce de théâtre, écrite par Léo Petitjean et Henri Rollin en 1921, un an à peine après les faits, Aurore, l’enfant martyre, considérée comme le plus grand succès théâtral québécois, dépassant Broue. Le saviez-vous ?
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Aude Leroux-Lévesque (réalisatrice) et Jean-Simon Chartier (scénariste et producteur)
Le défi, c’était de trouver le bon ton, entre le documentaire ancré dans l’histoire avec un côté criminel, judiciaire et aussi très culturel, sans entrer dans le sensationnel.
Jean-Simon Chartier, scénariste et producteur
Défi allègrement relevé, grâce, entre autres, à des interventions variées, allant d’Éric Veillette, auteur et chercheur en archives judiciaires, à Janette Bertrand (qui était de la distribution du film de 1952, faut-il le rappeler), en passant par l’historienne Myriam Wojcik, le journaliste Daniel Proulx et la comédienne Hélène Bourgeois Leclerc, la belle-mère du film de Luc Dionne. « Je m’en fais parler chaque semaine ! », dit-elle à l’écran.
PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION
Hélène Bourgeois Leclerc
Le documentaire a le mérite d’ancrer ici le récit dans le temps, au début du XXe siècle, une époque où les familles sont nombreuses, le clergé, dominant, et l’éducation des enfants, des « êtres imparfaits », plutôt expéditive, disons. « Il fallait les dresser », résume l’historien Éric Bédard.
Des allures « carnavalesques »
C’est dans ce contexte que Télesphore Gagnon, prospère cultivateur et père d’Aurore, fait appel à une cousine éloignée. Sa femme, Marie-Anne Caron, la mère d’Aurore (et de quatre autres enfants, dont deux morts en bas âge), a été internée, à la suite d’une grave dépression. Débarque Marie-Anne Houde, pour donner un coup de main à l’homme démuni. « Il ne sait pas changer une couche ni faire à manger, il lui faut une femme tout de suite ! », glisse Janette Bertrand. S’enchaîneront, dans les années suivantes, un décès (la mère), un mariage (avec la belle-mère) et, surtout, les nombreux sévices, et les 54 plaies que l’on sait, qui provoqueront la mort de l’enfant de 10 ans, le 12 février 1920.
IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION
Le clergé était dominant à l’époque des faits.
À noter qu’on voit dans le film quelques artefacts, à vous glacer le sang – pensez : un fer à repasser, à friser, une matraque –, saisis lors de l’arrestation des parents.
À l’époque, l’affaire fait les choux gras des médias, qui carburent aux faits divers. Les termes « martyre » et « marâtre » sont consacrés. Le procès, quant à lui, prend des allures « carnavalesques », apprend-on, avec notamment ces témoignages inédits des enfants (en présence des accusés, ce qui est impensable aujourd’hui), une défense qui plaide la « folie des femmes enceintes » (Marie-Anne Houde attend des jumeaux, qui mourront eux aussi en bas âge), l’absence de femmes dans le jury (la norme à l’époque), et ce discours du juge chargé émotivement.
Entre autres découvertes : « J’ai été surprise par l’étendue des sévices commis par le père, signale la coréalisatrice, Aude Leroux-Lévesque. Quand on lit les notes du procès, on voit qu’il a admis plein de choses. Mais ça a été évacué au profit d’un récit plus choquant », constate-t-elle.
« Est-ce qu’une telle histoire se serait déroulée de la même manière aujourd’hui ? s’interroge-t-elle. Clairement, non. Il y a eu des changements dans la protection de l’enfance. Par contre, même si le contexte est différent, même si on s’est donné des outils, on n’est pas à l’abri de ces drames. » La fillette de Granby en est la preuve incarnée. « Le danger est encore là. » S’il ne fallait qu’une raison de voir ce documentaire, elle est là.
Aurore : entre mythe et réalité est présenté ce lundi à 20 h, sur ICI Télé, et sur ICI Tou.tv.

