Les conditions d’un séisme majeur sont réunies sous Istanbul, alertent les sismologues

La Turquie est un territoire où la menace sismique est omniprésente et élevée. Le pays est en effet situé à l’interface de plusieurs plaques tectoniques, dont les limites sont marquées par de grandes failles de cisaillement. Le 6 février 2023, un important glissement le long de la faille est-anatolienne a d’ailleurs généré deux puissants séismes de magnitude 7,8 et 7,5, faisant environ 45 000 victimes.
Carte de la plaque anatolienne, l’étoile bleue représente l’épicentre du séisme principal du 6 février 2023. EAF = faille est-anatolienne et NAF = faille nord-anatolienne. © Armijo et al., 1999
Propagation des épicentres vers l’ouest : prochaine étape, Istanbul
Mais un autre grand système de failles suscite depuis longtemps l’inquiétude des autorités et des scientifiques : il s’agit de la faille nord-anatolienne, qui marque la frontière entre la plaque eurasiatique et le bloc anatolien. Les deux plaques coulissent l’une par rapport à l’autre à une vitesse de 17 à 29 millimètres par an, provoquant régulièrement de violents séismes.
Les études paléosismologiques – c’est-à-dire des anciens séismes – menées sur ce système de failles ont révélé que les ruptures se produisent globalement d’est en ouest : au fil du temps, on observe une migration des épicentres des séismes de magnitude supérieure à 7 vers la Méditerranée. Actuellement, le segment qui n’a pas encore rompu – c’est-à-dire qui n’a pas libéré la contrainte accumulée par le déplacement des plaques – se situe au niveau de la mer de Marmara. Or, à proximité immédiate de ce segment se trouve Istanbul et ses 18 millions d’habitants.
Le segment de faille de la mer de Marmara passe juste au sud d’Istanbul et c’est justement cette portion qui est actuellement verrouillée (en rouge). © Patricia Martínez-Garzón
Le segment au sud d’Istanbul totalement verrouillé
En avril 2025, la faille principale de Marmara a d’ailleurs connu son plus fort séisme depuis 60 ans, avec une magnitude de 6,2. Il convient toutefois de souligner qu’il s’agit du seul segment du système de failles nord-anatolien à ne pas avoir produit de séisme de magnitude supérieure à 7 depuis 1766. Or, le temps moyen de récurrence des grands tremblements de terre dans cette région est estimé à environ 250 ans. Le cycle sismique accuse donc aujourd’hui un retard préoccupant.
Plus le temps passe, plus la probabilité d’un séisme dévastateur affectant Istanbul augmente. Cette crainte est renforcée par une analyse récente de la sismicité sur ce segment de faille.
Si, à grande échelle, les séismes de magnitude supérieure à 7 migrent vers l’ouest le long de la faille nord-anatolienne, les chercheurs montrent qu’à l’échelle du segment de la mer de Marmara, les épicentres des séismes de magnitude supérieure à 5 se déplacent vers l’est depuis une quinzaine d’années. Une seule portion de ce segment resterait aujourd’hui verrouillée : celle située directement au sud de la mégapole. Ces résultats ont été publiés dans la revue Science.
L’importance d’une surveillance accrue et en temps réel
« Le prochain séisme majeur se produira probablement sur la portion de faille bloquée des îles des Princes, juste au sud d’Istanbul, explique Marco Bohnhoff, professeur au GFZ de Potsdam et co-auteur de l’étude. Il pourrait s’agir d’un événement de magnitude 6 ou d’un séisme précurseur susceptible de déclencher un tremblement de terre encore plus puissant, car la faille est probablement proche d’un état critique et a déjà accumulé une grande quantité d’énergie. »
La rupture de la faille ayant produit le séisme du 6 février 2023 est clairement visible en surface. Elle traverse ici la ville de Çiğli. © Jiannan Meng
Les auteurs recommandent ainsi une surveillance renforcée et en temps réel de ce segment de faille, notamment par l’installation de nouvelles stations sismiques. S’il reste impossible de prévoir précisément la date d’un tel séisme, une observation plus fine pourrait en effet permettre d’alerter plus rapidement les populations. Dans ce type de situation, chaque seconde compte.



