Les amours de seconde main | La belle porte de sortie de Jean-François Pauzé

Publié à 6 h 00
Quand Karl Tremblay est mort, Jean-François Pauzé a perdu son meilleur ami, son alter ego, et aussi son travail. « C’est un peu freakant quand tu y penses. Une fois sorti du tourbillon du décès de Karl, j’étais devant rien. La question, c’était : je vais-tu me trouver une job dans une quincaillerie, ou je m’essaie à faire un disque ? J’ai mis la quincaillerie sur le backburner. »
Nous avons rencontré Jean-François Pauzé dans le studio où Les amours de seconde main a été enregistré, en compagnie du réalisateur Daniel Lacoste, complice de longue date des Cowboys. Pendant une heure, le discret et gentil auteur-compositeur-interprète nous a parlé sans filtre du chemin qui l’a conduit à cet album qu’il a fait parce que, au fond, il n’avait pas d’autre option.
J’étais dans mes pantoufles avec les Cowboys.
Jean-François Pauzé
Il explique que dans le groupe, il était le seul à ne pas avoir de projet parallèle. « Jérôme est prof d’université. Marie-Annick fait de la musique en solo et est directrice d’une salle de spectacle. Karl avait des projets immobiliers, des restos et tout. Moi, je n’avais pas de porte de sortie. »
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
L’auteur-compositeur-interprète Jean-François Pauzé
Après une période de réflexion, il s’est avéré que la porte de sortie… était de faire ce qu’il sait le mieux faire, soit écrire des chansons. La première fut l’émouvante La route du Nord, dans laquelle il exorcise le deuil de son ami Karl. Puis il y en a eu une autre. Puis une autre.
Extrait de La route du Nord
Jean-François Pauzé n’avait rien à prouver, ni aux autres ni à lui-même. Mais il a voulu se lancer un défi, « avec l’angoisse et le bonheur que ça amène », dit-il. « Juste pour continuer à avancer. »
C’est d’ailleurs ce que dit la première chanson de l’album, Puisqu’il faut, hymne fédérateur dont lui seul a le secret. « Ça dit : on se crache dans les mains, et on avance. C’est ça, la métaphore. La vie continue et let’s go. »
Extrait de Puisqu’il faut
Trouver sa voix
Jean-François Pauzé est prêt à recommencer à zéro, à manger ses croûtes et à jouer dans des petites salles. « À 50 ans, t’es plus si cool que ça ! » Mais à sa grande surprise, le premier extrait lancé au printemps, Ballon-sonde, est numéro un dans les radios depuis 12 semaines, et plusieurs de ses spectacles annoncés affichent déjà complet. « Je dois encore avoir du bon stock en dedans de moi. »
Daniel Lacoste, lui, n’avait aucun doute que ça fonctionnerait. Même avant d’entendre les nouvelles chansons. « C’était sûr qu’elles auraient une force rassembleuse. » Là où ils auraient pu se poser des questions, c’est sur le plan de la voix. Jean-François Pauzé avait beau avoir fait des harmonies pour les Cowboys, sur disque et sur scène, avait-il ce qu’il fallait pour devenir soliste ?
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Le réalisateur Daniel Lacoste et Jean-François Pauzé au Studio PM
« J’étais souvent en harmonie haut perché, et je me suis rendu compte que je ne connaissais pas ma vraie voix. Je ne savais pas si j’allais être capable d’assurer. » Il s’est présenté en studio un peu inquiet, mais tout ça s’est résolu bien vite, affirme Daniel Lacoste, qui a coréalisé l’album avec Gus Van Go. « On lui a dit : tu vas la trouver tout seul, ta voix. Dès la première take de la première toune, on s’est regardé moi pis Gus, on s’est dit : OK, ça, c’est réglé. Il chante en maudit ! »
Conscience
Dans Les amours de seconde main, Jean-François Pauzé ose aller dans des avenues plus personnelles, mais il n’a rien perdu de son mordant. Il a beau être quinquagénaire, il est toujours aussi indigné lorsqu’il observe l’état du monde.
« Mais je l’aborde différemment. Je suis moins dans la revendication primaire, plus dans une espèce de constat. J’aime faire un polaroid de l’époque. »
Sur un fond d’americana « apalachien », avec une petite saveur irlandaise et une attitude punk, Jean-François Pauzé signe ainsi un album plutôt sombre, traversé par les thèmes de la solitude et du deuil. Tellement qu’on se demande s’il va bien !
« Je suis en pleine forme, assure-t-il. Je ne bois plus, je suis tranquille, je suis papa à la maison depuis deux ans. Mais ce n’est pas parce tu vas bien qu’il faut que tu te fermes les yeux. J’ai vécu de grosses affaires et j’ai dû retomber sur mes pattes, et il y a ce monde en mutation, complètement fou, qui est en train de se dessiner devant nous. Si tu es le moindrement sensible et conscient, tu ne vas pas écrire de chanson joyeuse. »
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L’auteur-compositeur-interprète Jean-François Pauzé
L’album compte aussi une jolie chanson d’amour (Emmêlé dans ses ch’veux) et des pièces plus « humoristico-trash ». « Ça aurait été trop dark sinon », explique Jean-François Pauzé, qui assume son côté « badass ».
Ça ne me tentait pas d’arriver avec de quoi de mielleux. J’ai éludé le petit côté bonbon que pouvaient avoir certaines pièces des Cowboys. C’est badass de A à Z, jusque dans le rauque dans ma voix, qui était plus ou moins contrôlé selon les jours !
Jean-François Pauzé
L’aventure solo lui permet une liberté qu’il n’avait pas avec le groupe. Mais si on peut sortir le gars de Cowboys, on ne sort pas les Cowboys du gars.
« Le carcan a explosé. Je me suis amusé à faire des choses que je ne faisais pas avant, bien qu’on comprenne en écoutant que c’est le même gars qui écrivait pour les Cowboys. Je ne me mettrai pas à faire du Karkwa pour avoir l’air différent ! »
Rencontre
Le chanteur a hâte de partir avec ses nouvelles chansons, entouré de musiciens qu’il connaît depuis longtemps et de nouveaux venus. La tournée s’étalera sur deux ans et il y a des plans pour l’Europe en 2027.
Sur scène, il chantera ses chansons et bien sûr des pièces des Cowboys Fringants. « Il y a tellement de groupes hommages qui le font, j’ai le droit, c’est moi qui les ai écrites ! » Et est-ce que cet album est le premier d’une longue série ?
Je vais commencer par cet album-là. Oui, j’ai encore du jus pour écrire, mais je vais me donner un break. Quand je l’ai fini, j’étais un peu vidé. Mettons que là, j’ai le goût de partir sur la route.
Jean-François Pauzé
Quant aux Cowboys, pour l’instant… il ne se passe rien. « Ça reste une entité vivante. Il y aura peut-être des projets spéciaux, mais est-ce qu’il y aura reformation pour des spectacles ? Je ne suis pas là dans ma vie », répond Jean-François Pauzé, qui se demande si, « quand la boucle est bouclée, mieux vaut ne pas défaire le nœud ».
Ce qui est clair « à 100 % », en tout cas, c’est qu’il ne prendra pas la place de Karl comme chanteur. « Je ne remplacerai pas une icône. » Et pas question qu’il y ait d’autres albums. « C’est Karl, la voix des Cowboys sur disque. »
Le chanteur est en ce moment en préproduction pour sa tournée qui commencera en janvier. Que lui souhaite-t-on ? « De ne pas oublier mes paroles ! » Mais ce dont il a envie surtout, c’est d’aller à la rencontre des gens. « On est un peu partis en sauvages. Veut veut pas, on est partis vite. J’ai le goût de les voir. Et de les remercier. »
Folk
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